LES PREUVES DE LINEXISTENCE DE BERNARD-HENRI LEVY
par
JEAN-BAPTISTE BOTUL
Tout chez toi est imaginaire (...) Ton inexistence morale, chevalier du
vide, révèle linexistence, sous larmure, des croisés de notre génération
blanche. Et cette inexistence est inscrite en tes initiales, BHL. Tu nas même
pas de nom à toi, rien quun sigle, comme RATP ou SNCF.
Guy Hocquenghem
Jimagine ton étonnement ou ton incrédulité, cher lecteur. Comment, Bernard-Henri Levy nexisterait pas ? Certes, le personnage qui signe livres et articles sous ce nom, qui se répand sur le petit écran, qui voyage de part le vaste monde, qui épouse des actrices, qui correspond par courriel avec un célèbre romancier, et même réalise des films nous est bien connu. Sil se trouvait encore à ce jour une seule personne digne de foi déclarant ne pas connaître Bernard-Henri Levy, il faudrait en conclure : premièrement, elle nest pas équipée dun poste de télévision ; secondement, elle na jamais mis les pieds dans une salle dattente de médecin ou de de dentiste, ni même pénétré dans léchoppe dun coiffeur (à moins quelle ne préfère, dans lune ou lautre de ces situations, la lecture de mes ouvrages ou celle des livres de mes confrères, tous genres confondus, à celle des magazines sur papier glacé proposée aux patients et clients) ; troisièmement, elle est sourde ou aveugle, ou bien, plus grave, elle ignore également lexistence dArielle Dombasle !
Et puis, ne reconnaît-on pas un grand penseur, un grand écrivain, ou un grand tout court dans sa spécialité, à un détail physique, vestimentaire, ou autre qui, comme diraient certains, fait tellement sens quil finit par devenir une sorte de signature. Il y a la barbe du père Hugo, le béret de Mac-Orlan, le strabisme de Sartre, le turban de Beauvoir, la cigarette de Malraux (quoique, par les temps qui courent...), la moustache de Brassens, limperméable de Monsieur Hulot, la démarche de Chaplin, la pipe de Simenon (là aussi...), la barbe de trois jours de Gainsbourg, la voix de Mauriac, le chapeau de Mme de Fontenay, lair abruti à la télévision de Michel Houellebecq, la frange des Beatles, etc., etc., et la chemise blanche décolletée de BHL. Sauf quici - excusez du peu ! - cette fameuse chemise recouvre le buste dune marionnette (dun acteur ou dun prête-nom, si vous préférez).
Le secret était bien gardé, je nen disconviens pas. Pourquoi na-t-il pas été éventé plus tôt ? Oui, bonne question. Pourtant ont paru depuis 2004 plusieurs livres, essai biographique, biographie, enquête, tous à charge sur Bernard-Henri Levy. Et aucun de ces ouvrages ne comporte la moindre révélation sur ce sujet. Comment lexpliquer ? Tout dabord je trouve ces livres fort utiles. Je me suis dailleurs référé à lun ou lautre dentre eux pour écrire quelques unes des pages de ces Preuves. Cependant leurs auteurs nen tirent pas la conclusion qui devrait normalement simposer (qui mest apparue peu à peu en recoupant ces lectures avec des informations communiquées ici ou là sur le personnage, et en me livrant à une enquête personnelle) : à savoir, linexistence de Bernard-Henri Levy. Il semblerait pourtant que ces auteurs en soient informés. Certaines lignes, quelquefois, le laisseraient supposer. Tout comme on a pu lire, ou entendre chez des commentateurs pas trop bien disposés envers BHL des propos qui mettaient la puce à loreille, sinon plus. Je nen citerai quun, pour linstant. Je fus à mon corps défendant lobjet et le prétexte de cette fameuse affaire Botul-BHL dont on a abondamment parlé en ce début dannée 2010. A ce sujet, lors de lémission On nest pas couché, à laquelle était invité Bernard-Henri Levy, venu présenter ses derniers ouvrages dans le contexte très particulier de cette affaire, lun des chroniqueurs, Éric Naulleau, eut toutes les peines du monde à placer cette phrase, très significative : Quand jai appris que vous vous étiez référé à un philosophe imaginaire, jai cru quil sagissait dune autobiographie. Tout était dit, en quelque sorte. Mais la-t-on retenu ? Jen doute, car le personnage connu sous le nom de Bernard-Henri Levy, un court instant déstabilisé (sachant que pareille attaque frontale est rarissime en ce qui le concerne), sefforça ensuite de noyer le poisson avec la dextérité quon lui connaît dans ce genre dexercice.
Pour revenir aux auteurs des ouvrages à charge sur BHL, tous, sans exception, reconnaissent au moins un mérite au personnage faisant lobjet de leur recherche biographique ou de leur enquête. Nous avons là une partie de la réponse à la question que je posais plus haut. Car, pour ma part, je ne vois pas ce qui pourrait être défendu, ni même sauvé dans les livres, activités ou prises de position du label BHL. Il est vrai que ces auteurs sont tous journalistes. Moi pas. Comme lattestent mes ouvrages et le confirment mes biographes, je suis philosophe. On sait, plusieurs exemples nous sont donnés par ces mêmes auteurs, que lentreprise BHL a parfois recours à lintimidation pour empêcher la divulgation de faits qui pourraient lui porter ombrage, la ridiculiser ou la confondre. Pourtant il na pas manqué depuis plus de trente ans de philosophes, historiens, chercheurs, écrivains, pour appeler un chat un chat et Bernard-Henri Levy une baudruche ou une imposture. Contre ceux-ci le pouvoir dintimidation ou les mesures de rétorsion du système BHL sont inopérants : lUniversité ou encore lédition indépendante ne relevant pas de cette zone dinfluence. Comme on le verra dans le détail il ny a pas de salut, ni même dexistence possible en dehors des médias pour lentreprise BHL. Celle-ci excipera de la faible surface médiatique de ces philosophes, historiens, chercheurs ou écrivains pour relativiser leur importance et ne pas en faire trop de cas. Ou alors, piquée à vif, elle entonnera le grand air de la théorie du complot. En revanche, dans cette logique toujours, les journalistes paraissent plus exposés. Ici le pouvoir demprise et dintimidation de la BHL connexion sexerce pleinement. Plus ou moins certes selon les époques, les situations, les dépendances ou les rapports de force. Mais si jajoute que la plupart des grands médias sont la propriété des amis de lentreprise BHL on comprendra quici les velléités critiques se réduisent généralement à une peau de chagrin.
Ceci étant, la question mérite dêtre reposée : pourquoi suis-je donc le premier, moi Jean-Baptiste Botul, à écrire cette vérité-là, fondamentale, sur le personnage ? Quelques uns de mes confrères philosophes, ou des historiens, des écrivains, auraient autant que moi les moyens de prouver linexistence de BHL. Certains dentre eux lui ont, au fil des publications ou selon les circonstances, nullement ménagé leurs critiques ou sarcasmes. Cependant ces critiques ou ces railleries sadressaient à un livre ou une intervention de BHL, et en restaient là. Pour savoir ce que cachait ce sigle il aurait fallu se livrer à linvestigation que jai évoquée un peu plus haut. Il suffit quelquefois de trouver le bon fil, et la pelote toute entière vient à vous. Nul commentateur na jugé bon de procéder ainsi, je le déplore. La situation savère différente dans les milieux journalistiques. Être au cur du cyclone vous confronte à une réalité qui vous affranchit sur certains sujets. En me livrant à cette enquête, jai constaté quune petite minorité de journalistes savaient à quoi sen tenir sur lidentité de BHL. Ceux-ci figurent davantage au sommet de la pyramide quà la base. Si aucun dentre eux na encore vendu la mèche cela va de soi. Jaurai loccasion den donner les raisons. Mais je maperçois que je nai pas tout à fait répondu à la question que je posais plus haut.
Je possède un indéniable avantage sur ceux-ci et ceux-là : je suis mort en 1947. Je nai donc pas à craindre déventuelles représailles. Ni des mesures préventives dintimidation. La calomnie même ne peut me toucher. Et puis, franchement, foi de Botul, je ne serais pas sorti du bois (de sapin nest ce pas) si ce BHL de malheur navait, dans un livre sorti au tout début de lannée, tenu en ce qui me concerne les propos que lon sait. Il me fallait réagir. Le cocasse de la situation néchappera à personne. La firme BHL avait été prise une fois de plus la main dans le sac. Mais plus que dhabitude en flagrant délit dimbécillité. Jai préféré prendre mon temps pour me renseigner, lire une partie de ce qui avait été écrit sur le sujet, enquêter. Ce qui ma permis de découvrir ce secret, de polichinelle je dirais. Et puis en écrivant ce libelle jentendais rendre la monnaie de sa pièce à un faussaire. Et, pour reprendre une formule célèbre en son temps, rendre la honte encore plus honteuse en la livrant à la publicité.
Des lecteurs sans doute se plaindront de ne pas retrouver le Botul qui, si jen crois les gazettes, ferait leurs délices. Ces botuliens me retrouveront sans trop tarder, je pense, puisque lexploitation de mes archives par Lassociation des amis de Jean-Baptiste Botul se poursuit. Dautres publications seraient envisagés. On comprendra que je ne puis ici en dire davantage. Cependant il me semble que Les preuves de linexistence de Bernard-Henri Levy devrait élargir le cercle de mes lecteurs. Je ne lexpliquerais pas par le sujet abordé qui, avouons le, supporte difficilement la comparaison avec Kant, Nietzsche, ou même Landru. Jai dû pour écrire ce texte-ci me confronter à une pensée dont jignorais tout, celle de la seconde moitié du XXe siècle : jentends là quelques uns des livres critiques marquants de cette époque, ceux là mêmes qui pouvaient me permettre de prendre la mesure dun phénomène que jétais loin de soupçonner à la veille de ma mort, en 1947. Ces explorations et découvertes mont été très utiles pour comprendre et disséquer le système BHL. Sans ces lectures les ouvrages signés BHL me seraient tombés des mains. Car ces derniers paraissent provenir de la lune pour un contemporain de Benjamin, Brecht, ou encore Bernanos. Mais brisons là pour en venir dans le détail à cette entreprise BHL.
LA CRÉATION DE LENTREPRISE BHL
Durant lhiver 1974, deux amis denfance qui sétaient perdus de vue se retrouvent par hasard dans un bistrot parisien. La vie les avait éloignés depuis 1967, et tous deux font le point sur leurs itinéraires respectifs. Le plus âgé (de six mois, tous deux sont nés en 1948) a rompu lannée précédente avec le maoïsme. Il retrouve depuis peu quelques certitudes. Une lecture récente de Tocqueville a dissipé ses dernières illusions marxistes. Il se rapprocherait de la gauche traditionnelle sans pour autant se reconnaître dans lun ou lautre de ses partis. Coté travail, il enseigne depuis la rentrée la philosophie dans un lycée du Val-de-Marne. Son interlocuteur prise davantage la littérature et les arts. Il lit Actuel et suit de près lévolution de la contre-culture aux USA. La politique lindiffère généralement : il met droite et gauche dans le même sac. A vrai dire il sintéresse surtout aux individus. En distinguant quelques unes des fortes personnalités dont laction a contribué à bouleverser le monde. Cet ancien élève dHEC travaille depuis six mois comme publicitaire.
Malgré leurs différences politiques, idéologiques, culturelles les deux anciens camarades denfance vont se voir régulièrement durant les premiers mois de lannée 1974. Tous deux, sans le formuler explicitement, sont dans lattente dun événement. Les lignes bougent, dira le professeur de philosophie, nous avons peut-être un rôle à jouer dans ce phénomène de recomposition. Sans doute, répondra le publicitaire, mais à condition danticiper sur ce qui pourrait se produire. Et donc de faire preuve dimagination. Courant mai, le professeur présente à son ami un homme dune trentaine dannée, un politologue. Ce dernier argumente particulièrement sur la donnée suivante : dans lintérêt du pays devraient gouverner ensemble des hommes qui, dans les deux camps, sont faits pour se rapprocher. Durant la présidence Pompidou il a été léminence grise dun homme politique de droite ouvert aux idées de gauche. Lélection de Giscard change la donne : le politicien de gauche qui vient de le prendre comme conseiller nest pas sans partager quelques unes des idées de lautre camp. Un moment la discussion roule sur mai 68. Le politologue en pense pis que pendre. Les deux autres ne partageraient pas ce point de vue, mais argumentent sans trop de conviction. Et finissent par reconnaître que leur interlocuteur a en partie raison. En tous cas tous trois se promettent de se revoir pour poursuivre ce type déchange.
Le même mois, le publicitaire invite au bistrot, où les deux amis se rencontrent habituellement, lune de ses connaissances. Ce grand jeune homme, bien de sa personne, de bonne famille (né également en 1948), a été étudiant en philosophie. Il sappelle Georges Levy et est comédien. Il gagne convenablement sa vie en tournant dans des films publicitaires. Cependant il aspire à autre chose. Dautant plus quil pense avoir létoffe dun grand acteur. La mise en scène de cinéma le tenterait, également. Indépendamment de ces soucis de carrière, il continue à sintéresser au mouvement des idées. Et partage quelques unes des préoccupations des deux compères. A la demande du publicitaire, le comédien raconte lhistoire suivante. Il a publié lannée précédente un ouvrage aux éditions Maspéro intitulé Bengla-Desh : nationalisme dans la révolution. En réalité il ne la pas écrit. Le véritable auteur, pour des raisons personnelles, ayant préféré ne pas signer ce livre sous son nom. Georges a cependant participé à sa rédaction en donnant ici ou là une touche de couleur locale. On a dailleurs fait appel à lui en raison dun voyage quil avait effectué en début dannée 1972 au Bengla-Desh. Le professeur se souvient maintenant davoir parcouru cet ouvrage en bibliothèque.
- Vous vous appelez Georges Levy ?
- Oui.
- Ce nest pas le nom, si jen crois mes souvenirs, de lauteur.
- Le nom si, mais pas le prénom. Je lai signé Bernard-Henri Levy. Cela fait plus chic, nest ce pas ?
- Très bien choisi, réagit le publicitaire. Tiens, ceci me donne une idée...
Au début du mois de juin, les deux compères organisent une rencontre à laquelle sont conviés Georges Levy et le politologue. Un ordre du jour a été concocté après une série déchanges téléphoniques. Il sagit de savoir si tous peuvent unir leurs efforts en vue dune réflexion, voire dune activité commune. Le politologue vient en compagnie dun industriel, informé de lobjet de cette rencontre. Car la question dun financement se posera tôt ou tard, compte tenu de leurs objectifs, précise le politologue. La discussion donne toute satisfaction et les cinq participants élaborent un projet.
De ce soir-là date la véritable naissance de Bernard-Henri Levy. Le comédien, beau gosse, a de labattage et du bagout. Il est donc inutile daller chercher ailleurs pour endosser le rôle. Certes, il faudra dans un premier temps le briefer sur certaines questions. Le professeur de philosophie et le politologue sen chargeront. Également il importe de lui écrire une biographie. On conservera létudiant en philosophie, lauteur du livre chez Maspéro, mais on évitera de mentionner dans la mesure du possible le comédien, surtout lacteur de films publicitaires : ça ne fait pas sérieux. A la place on évoquera une vague participation à un groupe dexperts du P.S. (cest prendre peu de risque en raison du caractère fantomatique de ce groupe). Et on signalera comme en passant que Bernard-Henri Levy aurait été candidat socialiste dans lune des circonscriptions de la Manche lors des dernières élections législatives (labsence dune section P.S. représente également un très faible risque). Ce projet biographique est accepté à lunanimité. Le publicitaire évoque déjà les coups qui permettront à Bernard-Henri Levy de tenir le devant de la scène. Lindustriel se dit prêt à financer toute opération en ce sens. Tous se quittent enchantés. Enfin dans limmédiat il sagit dabord de faire connaître ce nom : Bernard-Henri Levy.
Les débuts sont cependant modestes. Par lintermédiaire de lindustriel, qui vient daider financièrement à la création du Quotidien de Paris, Georges Levy rejoint léquipe de journalistes constituée auteur de Philippe Tesson. Les trois autres membres du quintette écriront les articles signés Bernard-Henri Levy. Le comédien y rencontre Michel Butel. Tous deux sympathisent. Pourquoi ne pas fonder ensemble un nouveau quotidien, propose Butel ? Son interlocuteur sen fait lécho au sein du quintette. Le professeur et le politologue, dabord réticents, finissent par se laisser convaincre. Mais il y a du pain sur la planche ! Et il faut trouver des financements en dehors du quintette. La même semaine, le politologue, qui est en relation avec Françoise Verny, responsable du secteur essais des éditions Grasset, soumet à léditrice les grandes lignes du projet Bernard-Henri Levy (en taisant cependant celui de création dun quotidien). Un tel projet ne peut que susciter lintérêt de Grasset dans le milieu des années 70. De surcroît le comédien séduit dans un premier temps Françoise Verny, puis Bernard Privat, le patron de Grasset. Trois collections (Figures, Théories, Enjeux) sont crées lors dune seconde rencontre entre le politologue et Verny.
Une première pause. A qui peut-on faire croire quune maison dédition de limportance de Grasset ait pu confier trois collections à un quasi inconnu. Car ce ne sont pas les quelques articles publiés dans Le quotidien de Paris, ni la publication dun livre passé presque inaperçu (ouvrage très éloigné de lesprit Grasset et au sujet duquel une rapide enquête aurait démontré que BHL nen était pas lauteur) qui pouvait emporter le morceau ! Comment a-t-on pu en 1974, compte tenu de ces éléments, croire ainsi à lexistence de Bernard-Henri Levy ! Suffit-il dêtre un beau jeune homme, davoir de bonnes manières et de laisance pour que lon vous confie la responsabilité de trois collections ? Cest absurde ! La création de ces collections fait dabord, je lai précisé, lobjet de négociations entre Françoise Verny et le politologue, puis le professeur de philosophie prendra le relais. Verny a rapidement compris quel profit elle pouvait tirer du quintette pour Grasset. Le reste relève dune mauvaise littérature dont on se demande par quelle aberration les professionnels de la professions ont pu en être les dupes. A partir du moment où lon vous fait gober pareille histoire tout devient possible. Plus cest gros, plus ça marche, dit le proverbe. Il na pas encore été démenti depuis 36 ans.
Je reprends ma narration. La pêche aux bailleurs de fond sétant révélée infructueuse, lindustriel doit seul supporter le financement du quotidien co-dirigé par Butel et BHL. On sait que LImprévu arrêta sa parution au bout dune semaine. Le mécène surtout pâtit de ce fiasco : une partie de sa fortune y avait été engloutie. Il prit momentanément de la distance avec lentreprise BHL. Le comédien, pour des raisons narcissiques, lui aussi avait accusé le coup. Il rongera son frein encore deux années, et attendra 1977 pour retrouver la lumière des projecteurs. Mais nanticipons pas.
Encore fallait-il trouver des auteurs pour les trois collections Grasset. Le professeur de philosophie fait appel à quelques unes de ses connaissances, des anciens maos pour la plupart : Michel Guerin, Jean-Pierre Dollé, Françoise Levy, Philippe Nemo, les duettistes Jamdeau et Larbet. Les ventes de leurs ouvrages restent modestes. Françoise Verny, mise en difficulté à Grasset, insiste sur lécho que recueille dans la presse ces différents livres. Il y a un effet collection qui commence à prendre. On en récoltera les bénéfices tôt ou tard. Lavenir prouvera quelle avait raison. En attendant on permet au comédien qui commence à sennuyer dans son rôle de directeur de collection, peu gratifiant pour lui, de réaliser lun de ses rêves. Il sera Paul Denis dans une adaptation télévisée du roman dAragon Aurélien. Linitiative vient de Françoise Verny, cosignataire de ladaptation.
A qui attribuer la paternité de lexpression nouvelle philosophie ? Lors dune réunion préparatoire à un dossier des Nouvelles littéraires confié à BHL, qui doit faire le point sur les tendances actuelles de la philosophie en des termes accessibles au grand public, le publicitaire propose comme titre Les nouveaux philosophes. Mais cest excellent ça coco ! Pour réaliser ce dossier on fait appel aux auteurs publiés chez Grasset sous le label BHL. Un soin particulier est apporté à léditorial, signé par le même. La publication de ce dossier ne passe pas inaperçue et provoque diverses réactions. Deux jeunes universitaires, François Aubral et Xavier Delcourt, brocardent cette bouillie pseudo philosophique dans leur livre Contre la nouvelle philosophie. Entre temps, le quintette travaille darrache pied. Lidée de La barbarie à visage humain est née au lendemain de la publication du dossier des Nouvelles littéraires. Le plus gros du travail a été effectué par le professeur et le politologue. Le publicitaire, qui a le sens de la formule, est venu dans un second temps apporter sa touche personnelle. En amont le comédien avait exposé quelques idées auxquelles il tenait.
Louvrage parait en mai 1977. Le point culminant de lopération nouveaux philosophes a lieu plusieurs jours après la sortie du livre, le 27 mai 1977, lors dune émission restée célèbre dApostrophe. Ce soir-là, la France entière, ou presque, découvrit Bernard-Henri Levy. Durant le mois de mai, au sein du quintette (y compris lindustriel, attiré par lodeur de la poudre), chacun sétait particulièrement investi pour préparer lémission de Bernard Pivot dans les meilleures conditions. Le quintette avait soigneusement épluché louvrage de Delcourt et Aubral (qui seraient également présents sur le plateau dApostrophe) en en soulignant les points faibles. La veille de lémission, le mécène offrit au comédien une chemise Charvet. Cette chemise blanche, dont la valeur peut être aujourdhui estimée à 350 euros, ayant la propriété et lavantage de conserver un col droit quand bien même elle se trouverait déboutonnée jusquau nombril ou que son utilisateur porterait une veste. Ni lindustriel, ni ses quatre compères névaluèrent sur le moment à sa juste valeur cet inestimable cadeau. Un étendard était né : et limage de marque de BHL pour les décennies à venir.
Même si André Gluscksmann, aussi présent ce soir-là, parut plus à son avantage dans ce genre de débat, les commentateurs retinrent surtout la prestation du comédien (et puis BHL étant considéré comme le chef de fil des nouveaux philosophes, Glucksmann se trouva naturellement enrôlé sous cette bannière). Il est vrai que lors de cette première émission télévisée la marionnette compensa ses criantes insuffisances théoriques et philosophiques par une indéniable présence à lécran. Dailleurs Pivot apporta sa contribution au phénomène BHL en citant complaisamment le mot de sa fille, laquelle avait cru voir Rimbaud la veille à la télévision. Cest peu dire que cette prestation conforta le quintette dans la poursuite de laventure BHL. Tous les cinq, à des degrés divers, et pour des raisons quelquefois différentes, avaient de quoi être satisfaits. Il ne restait plus quà faire fructifier un tel capital.
DE LENTREPRISE AU HOLDING
La question, encore aujourdhui, mérite dêtre reposée. Comment un livre indigent, à prétexte philosophique, qui ne vaut que par quelques rares morceaux de bravoure (en particulier la première phrase de La barbarie à visage humain, Je suis lenfant naturel dun couple naturel : le fascisme et le stalinisme, une trouvaille du publicitaire que les gogos citèrent à lenvi) a-t-il pu recueillir un tel écho, même médiatique ? On connaît la réponse de Deleuze, en juin 1977, qui sans se focaliser sur BHL disait lessentiel de ce quil fallait penser des nouveaux philosophes. Moins connu, le numéro 20 de la revue LAnti-Mythes, sous le chapeau Nouvelle philosophie, nouvelle escroquerie sintitulait Bernard-Henri Levy dordures. Tout était déjà dit, ou presque, sur lentreprise en devenir. Jy reviens puisque aucun des biographes de BHL ne mentionne lexistence de cette parution de lautomne 1977. Les rédacteurs de LAnti-Mythes y écrivent : Ainsi apprend-on dans La barbarie à visage humain quil ny a pas de domination, que loppression nexiste pas, que nous sommes des opprimés sans oppresseurs qui nous dominent, quil ny a, stricto sensu, pas plus de soumission quil ny a de domination, que le pouvoir est tout et rien, que lhistoire nexiste pas, que le réel nexiste pas, que lindividu nexiste pas, que le prolétariat nexiste pas, au point que lon finit par se demander si lépicier de chez Grasset qui écrit de tel profondeurs sest fait payer en argent qui existe et salimente de petits fours néantisés. Ou que tout simplement sil existe, foi de Botul ! Je cite, pour le plaisir, le passage suivant : Et pour finir, lapothéose, avec la lèche pluridimensionnelle de notre comique troupier national, fondateur de lAssociation évangélique des résistants et évadés des hôpitaux psychiatriques, Maurice Clavel : ... Maurice Clavel, dont on ne dira jamais combien, parce que chrétien (souligné par BHL) il peut avoir une vue historiquement juste. Au passage, on se permettra dapporter deux réserves : dabord on ne comprend pas bien comment Clavel peut avoir une vue historiquement juste dune histoire qui nexiste pas. Ensuite on ne voit pas en quoi le fait dêtre chrétien donne un brevet de conscience révolutionnaire. Cest décidément une manie de tendre la main aux catholiques quand ce nest pas de leur piquer leur soutane ou leur vin de messe (voir linénarrable ouvrage qui mériterait le prix Fernand Reynaud, Lange de Lardon et Jambonneau (il sagit en réalité de Larbet et Jamdeau : note de JBB), édités comme il se doit chez Grasset, où sont bénis tour à tour BHL, Lin Piao et le père Festugière.
LAnti-Mythes revient également sur une interview de BHL à Play boy. Il y déclarait : Mais soyons tout à fait sérieux. Le fond du problème, cest que je ne crois plus à la politique. Plus loin, les rédacteurs de LAnti-Mythes précisent : On apprend, toujours dans Play boy, quil est comédien, quil interprète le rôle de Paul Denis dans une adaptation pour la télé dun roman du stalinien Louis Aragon. Cela au moins, cest du solide, même si pour notre part on laurait plutôt vu dans le rôle de la Putain respectueuse. Jajoute que la marionnette se fera taper sur les doigts par ses petits camarades pour avoir ostensiblement rappelé son passé de comédien. Mais à vrai dire personne ne le remarqua. Pour conclure, les rédacteurs de LAnti-Mythes résument bien la question BHL telle quelle se pose à lautomne 1977 : Que le cynisme séduise, que la bêtise paie et que la mode soit au renouveau des idées les plus réactionnaires, cela ne suffit pas à expliquer lextraordinaire exploitation par les médias du phénomène nouveaux philosophes, ni leur impressionnant succès commercial.
Voilà pour les débuts. Je ne vais pas entrer dans le détail dune histoire aujourdhui bien connue depuis la publication de biographies sur Bernard-Henri Levy ces dernières années. Essayons cependant de poser quelques jalons significatifs dans la genèse de lentreprise BHL. Sans avoir le retentissement de La barbarie à visage humain, le second livre du quintette, Le testament de Dieu, na pas manqué dattirer lattention des commentateurs. Cet éloge du monothéisme, particulièrement défendu au sein du groupe par le professeur de philosophie, navait pas été relu par un historien professionnel. Pierre Vidal-Naquet se donna la peine de relever les nombreuses et grossières erreurs du livre. Du coté des BHL on organisa la riposte en reprenant sur le mode paranoïaque une argumentation qui avait déjà servi avec Aubral et Delcourt : Vidal-Naquet se trouvait ainsi traité de policier et accusé de procéder à une délation publique et à un caporalisme savant. Lentreprise BHL se drapait dans sa dignité outragée et devenait la victime dun tribunal des agrégés. Castoriadis prit le relais de Vidal-Naquet avec un texte intitulé Lindustrie du vide où le mot imposture se trouvait une première fois prononcé.
Lavertissement est malgré tout prit au sérieux. Le politologue, dans la perspective du troisième ouvrage, Lidéologie française, insiste pour remettre le cap sur lhexagone. Lentreprise BHL sefforce ici de démontrer que le pétainisme constitue la véritable nature idéologique de la France. Cependant, devenue prudente après la nature des accusations portées sur Le testament de Dieu, elle envoie la marionnette, munie du manuscrit de louvrage, tester Léon Poliakov. Le vieil érudit, peu au fait des nouvelles murs éditoriales en général et du système BHL en particulier, ne réalise pas sur le moment ce quon attend de lui. Il indique à son interlocuteur que son livre est historiquement faux, non seulement, rien que par le titre, il fait passer une partie pour le tout, mais aussi par labsence insolite de léglise catholique dans cette histoire. La marionnette accepte de corriger des erreurs factuelles et lentretien sarrête là. Léon Poliakov constatera un mois plus tard que le texte publié était quasiment identique au manuscrit. Plus grave, il aura le désagrément de découvrir son nom comme étant garant de ce travail. Il me parait inutile de revenir sur les bourdes, erreurs, énormités de Lidéologie française. Les critiques, nombreuses et variées, émanèrent de gauche comme de droite. Même un Raymond Aron tint ce livre pour méprisable. On compta les défenseurs de Lidéologie française parmi les copains et coquins constituant le réseau, déjà important, de lentreprise BHL. Enfin, dans la mesure où on en avait beaucoup parlé, et que les ventes dépassaient les estimations les plus optimistes le coup savérait gagnant. Du moins le comédien, le publicitaire et lindustriel résonnaient ainsi.
Ces péripéties avaient cependant ébranlé la machine BHL. Le politologue et le professeur éprouvaient le besoin de souffler. et puis ils étaient à court didée en ce début 1981. Indirectement lélection de Mitterrand changea la donne. Il y avait comme dit lautre un capital symbolique représenté par le nom BHL quil ne convenait pas de laisser dormir. Certains commentateurs conspuaient et brocardaient la pensée BHL tout en reconnaissant quelque mérite à lécrivain. Pourquoi ne pas aller dans cette dernière direction, proposa le publicitaire, en écrivant un roman. Soit, mais quel genre de roman ? Le hasard, en loccurrence, fit bien les choses. Une jeune professeur dhistoire, Marie France Barrier, adressa un manuscrit chez Grasset à lenseigne BHL. Il fut retourné à lexpéditrice mais une copie resta entre les mains du quintette. Le diable en tête sinspire largement de ce manuscrit. Certes on le récrivit tout en conservant des personnages et événements du récit original. Quand Le diable en tête parut, linfortunée enseignante réalisa combien lentreprise BHL lavait pompée. Un procès sensuivit. La firme BHL aurait pu sarrêter là. Un dépôt de bilan dailleurs paraissait envisageable dans le cas dune condamnation. Et puis un verdict en faveur de la plaignante risquait de faire jurisprudence. Et ouvrir la boite à pandore des auteurs de manuscrits refusés, reconnaissant ici ou là des emprunts dans des publications dauteurs reconnus. Donc la profession sinquièta à lavance du verdict qui pouvait être rendu à Nantes. A tort, car il sagissait de lénième épisode de la lutte du pot de fer contre le pot de terre. Le tribunal condamna Mme Barrier à 5000 francs damende. Lentreprise BHL lavait échappé belle.
Le second roman évita ce genre de mésaventure. On sollicita laide dun écrivain, un nègre de luxe, pour écrire Les derniers jours de Charles Baudelaire daprès un canevas proposé par le quintette. On lui demandait de reprendre le style du roman précédent. Lentreprise BHL tenta de dissiper limpression fâcheuse laissée in fine par Le diable en tête en prêtant à Baudelaire des propos sur le plagiat susceptibles de relativiser ce malencontreux épisode ou de désamorcer, par anticipation, toute critique sur le sujet. La machine BHL se met en branle et le maximum de publicité précède la publication, considérée comme lévénement littéraire de la rentrée 1988. On évoque déjà le Goncourt. La presse contrôlée par lentreprise BHL sextasie sur ce roman traditionnel, en dessous de la moyenne de ce qui se publie habituellement. Las ! le prix Goncourt reviendra finalement à Érik Orsenna. Tout est bien qui finit bien par ce plaisant clin doeil à La littérature à lestomac.
La référence appuyée au plagiat dans Les derniers jours de Charles Baudelaire ne concernait pas uniquement le domaine romanesque. Il faut pour lexpliquer revenir en arrière, à lannée précédente. Lentreprise BHL sétait auparavant associée au lancement du mensuel Globe. En fait, même si Georges-Marc Benamou le dirige, cest elle qui tient les rênes du magazine. Au début de 1987 est annoncée la parution dun livre dAlain Finkielkraut, La défaite de la pensée. On envoie la marionnette linterviewer. Lentretien, très long, ne paraîtra jamais dans Globe. Mais rien ne se perd puisque le 25 mars Globe publie dans un cahier à part un texte signé Bernard-Henri Levy intitulé Léloge des intellectuels. Ce long article, nous dit-on, doit faire lobjet dune publication début avril chez Grasset (alors que La défaite de la pensée ne paraîtra pas avant le mois de mai aux éditions Gallimard). Le lecteur doit le subodorer : il y a comme une parenté, pour parler par euphémisme, entre les deux ouvrages. Le Canard enchaîné sen fait lécho et précise ce que lun doit à lautre. Ce nest pas tout. On finit par apprendre que lentreprise BHL avait emprunté une partie de sa démonstration à un manifeste dun groupe détudiants, les aristocrates libertaires. Un texte publié chez Grasset sans la moindre publicité, et en même temps que le cahier à part de Globe. Les étudiants, reconnaissant leurs idées, protestèrent. En vain, personne ne les entendit. Finkielkraut préféra se taire. Il est vrai que La défense de la pensée bénéficiant dun accueil critique et public plus favorable que Léloge des intellectuels le plagiaire se retrouvait Gros-Jean comme devant.
Une dizaine dannées après le lancement de la firme BHL, la machine semble bien rodée. Il y a parfois des ratés, comme je viens de lévoquer, mais elle fait parler delle régulièrement. Et elle vend. Encore plus quauparavant, à partir des années 90, elle va procéder par coups. Certains seront gagnants, dautres moins. Parmi ces derniers je signale la commande faite à un auteur dramatique renommé, ayant besoin dargent (toujours à partir dun canevas proposé par les BHL). Ce Jugement dernier lourd et pesant est un échec. Le dramaturge en question, certainement mortifié par cette obligation alimentaire, avait plus ou moins plombé la pièce. Nègre de luxe, soit : mais il faut payer, et dans tous les sens du terme ! En revanche, le mariage avec Arielle Dombasle replace BHL sur le devant de la scène. Et pas nimporte laquelle, la people ! Le mécène et le publicitaire organisent les festivités dans les moindres détails. Un avion emmène les invités - le tout Paris, ou presque - à Saint-Paul de Vence. Paris-Match couvre lévénement en y consacrant six pages, etc., etc.
Léchec de la pièce Le jugement dernier indiquait que le filon littéraire, après le filon prétendument philosophique, voire historique, commençait à sépuiser. Il fallait passer à un autre registre. Le conflit dans les pays de lex Yougoslavie va permettre, un temps durant, de changer de cap. Auparavant le politologue, qui en faisait une question presque personnelle, avait insisté pour que lentreprise BHL prenne clairement position pour la cause bosniaque. Après un séjour de la marionnette à Sarajevo, la machine BHL se met en marche et va fonctionner à plein régime une fois tournée la page théâtrale. Sensuivent de nombreux articles dans la presse, autant de plateaux de télévision, des demandes auprès de Mitterrand, et même lorganisation dune tournée du Président Iztbegovic à travers lEurope. Le conflit bosniaque donne à lentreprise BHL loccasion de se refaire une virginité en soutenant la meilleure des causes possibles. Et de mettre ses pas dans ceux de Malraux. Puisque ce dernier avait durant la guerre dEspagne réalisé le film Lespoir les BHL réaliseront Bosna ! Sauf quici on frise le ridicule : la manière dont la marionnette se met en scène et en spectacle à Sarajevo lui attire de nombreux quolibets. Cet épisode trouvera sa légitime conclusion lors du Festival de Cannes en 1994. Faute de recevoir un prix pour Bosna ! la marionnette reçoit en dédommagement une tarte à la crème de lexcellent Le Gloupier (signant là son quatrième attentat pâtissier sur BHL). Dans un registre moins burlesque (quoique...), ce même printemps 1994, lentreprise BHL lance lidée dune liste Sarajevo pour les élections européennes. Lidée rencontre dabord un franc succès. La firme rendra piteusement les armes quand elle finira enfin par sapercevoir que cette liste Sarajevo quelle pilotait servait les desseins de Mitterrand en affaiblissant Rocard. Pourtant bien entamée, cette campagne bosniaque sachevait en farce pâtissière et en eau de boudin.
Mais le pire, encore, était à venir ! Le coup suivant, le film Le jour et la nuit, qui reste le principal fiasco de lentreprise BHL, mérite une rapide explication de texte. Disons le : ce film naurait jamais vu le jour sans linsistance du comédien (sans oublier le travail de sape du mécène pour recueillir de largent public, en bénéficiant, entres autres interventions, de celle du ministre de la Culture du gouvernement Juppé). A partir dun scénario écrit par la marionnette (supervisé par les autres membres du quintette), celle-ci réalise ce film à gros budget dont Alain Delon et Arielle Dombasle sont les acteurs principaux. La suite est délectable. Malgré une campagne promotionnelle sans précédent dans lhistoire du cinéma hexagonal, les critiques (la plupart ont été écartés des projections en avant-première : celles-ci étant réservées aux critiques amis, directeurs de groupes de presse et personnes influentes) et le public découvrent un objet insolite, ridicule, grotesque, et finalement poilant : à ce jour le film le plus involontairement comique du cinéma français (et qui risque de le rester).
Lexpérience évidemment ne sera pas renouvelée. Dans lurgence, si lon peut dire, lentreprise BHL tente dallumer des contre-feux. Comédie, louvrage publié la même année, règle des comptes sous le couvert dune introspection. Ici le scénario, déjà rodé, reprend le mode de la théorie du complot : cétait une cabale, bien entendu ! on me déteste parce que je suis beau, riche, talentueux, intelligent, et que jai des amis qui, la vie aidant, ont fini par diriger des journaux (sic). Un livre qui ne convaincra que les convaincus. Ensuite Le siècle de Sartre sévertuera à surfer sur la vague du vingtième anniversaire de la mort de Sartre. Des sartriens sy laisseront prendre. Jen dirai un mot un peu plus tard.
Un tel système, privilégiant à ce point interventions publiques, et plus encore des interviews dans les journaux ou à la télévision comporte des risques. Plus dune fois lentreprise BHL dû rectifier des propos tenus auparavant par la marionnette : dans la mesure où ceux-ci pouvaient être mal interprétés, susciter des controverses inutiles ou porter préjudice au label. En 2001 deux journalistes du magazine Elle (journal étant la propriété de lun des grands amis de BHL, Jean-Luc Lagardère) se rendent au domicile de la marionnette pour linterviewer sur le dernier ouvrage publié par Bernard-Henri Levy, Réflexion sur la guerre, le mal et la fin de lhistoire. Donnant le lendemain à lire la copie de cet entretien à deux membres du quintette, ces derniers, consternés par le contenu des réponses, lui demandent dintervenir rapidement auprès de la rédaction en chef du magazine pour rectifier le tir. Convaincu de sêtre fait piéger par les deux journalistes, la marionnette, furibonde, téléphone au rédacteur de chef pour lui proposer une autre version de lentretien (préalablement réécrite par ses deux compères), tout en insistant lourdement sur lamitié qui le lie à Jean-Luc Lagardère. Trois ans plus tard, demandant par avance un droit de réponse au sujet dune biographie le concernant non encore publiée (mais oui cher lecteur, tu ne rêves pas !), lentreprise BHL envoyait la marionnette répondre aux questions des journalistes de LExpress. Là encore elle se faisait taper sur les doigts par ses petits camarades. Doù lobligation pour elle de solliciter à nouveau la direction de LExpress pour demander maintenant la suppression de passages compromettants ou pouvant savérer contre-productifs pour limage béhachelienne.
Ces deux derniers exemple, parmi dautres, vous ont certainement convaincus, chers lecteurs : Bernard-Henri Levy est une fiction. Le personnage que vous voyez depuis 35 ans sur le petit écran, qui se répand un peu partout dans les médias, dont vous avez - allez savoir ! - acheté un livre (on en reparlera) nest quune marionnette portant le nom de cette entreprise. Si daventure il restait encore des lecteurs sceptiques, je leur conseille de lire attentivement la suite. Peut-être que langle choisi les convaincra davantage.
LÉCHEURS DE POMPES, COURTISANS ET IDIOTS UTILES.
Au lendemain de lopération nouvelle philosophie et de la publication de La barbarie à visage humain sest peu à peu constitué le réseau qui a prit aujourdhui limportance que lon sait. Déjà, vers la fin des années 80, le système médiatique mis en place par lentreprise BHL, malgré quelques ratés, relevait dune machine parfaitement bien rodée. Je ne citerai pas les journaux, magazines, et émissions de télévision qui ont concouru à la célébration de Bernard-Henri Levy, ce serait fastidieux. Tous les grands patrons de presse sont plus ou moins (mais plus que moins) les débiteurs et les obligés de lentreprise BHL. Même chose pour les éditeurs appartenant au groupe Hachette.
Dans ce système lécheurs de pompes, laudateurs et courtisans fleurissent. Il serait facile de confectionner un bêtisier avec de nombreux exemples choisis. Je me contenterai de citer juste quelques perles représentatives de lensemble (suivant le conseil de Chateaubriand : Il est des temps où lon doit dépenser le mépris avec parcimonie à cause du grand nombre de nécessiteux), couvrant la carrière de BHL Donc, par ordre chronologique, Dominique Grisoni sur La barbarie à visage humain (Un grand livre vient de naître et prend place au rang de ceux, rares entre tous, où lanalyse fulgure et le génie tressaille), Pierre Billard sur Le jour et la nuit (BHL est à la fois John Huston et Visconti réunis), Yann Moix idem (Une réussite (...) un magnifique hommage au cinéma lui-même), Marc Lambron pour Récidives (Il y a des rythmes longs, venus dun rêve épique nourri de Malaparte et de Malraux, et des séquences courtes de polaroïd warholien), Albert Sebag pour American Vertigo (Bernard-Henri Levy est en train de devenir lauteur préféré des américains).
Plus intéressante que cette valetaille, la catégorie des idiots utiles rassemble des personnalités dont la notoriété ne doit rien à lentreprise BHL et qui ne sont pas dans une situation dallégeance envers elle. Mais pour des raisons diverses (allant de lalliance tactique au strict opportunisme en passant par le souci de se ménager une telle puissance) ces personnages ont contribué à cautionner le système BHL et à le légitimer aux yeux des crédules et ignorants.
Jean Daniel, pour commencer. Avant même le lancement de lopération nouvelle philosophie, Jean Daniel avait ouvert les colonnes de son journal à la marque BHL. Un propos que tenait alors la marionnette à qui voulait bien lentendre et le répéter, Je veux être au moins Jean Daniel, parvenu aux oreilles du patron du Nouvel Observateur, nétait pas de nature à laisser ce dernier indifférent. Donc Jean Daniel confia à Jean-Paul Enthoven le soin décrire tout le bien quil convenait de penser du premier ouvrage signé BHL. Ce journaliste inaugurait ainsi avec ce papier louangeur sur La barbarie à visage humain une carrière qui se poursuivra au Point, et que lon peut juger admirable du point de vue de la courtisanerie. Certes tout nest pas simple lorsque lon dirige un grand hebdomadaire de gauche (ou relevant encore de cette étiquette à la fin des années 70). Il paraissait par exemple difficile, dans le cas particulier de la seconde publication de lentreprise BHL, Le testament de Dieu, de refuser larticle de Vidal-Naquet dont jai dit un mot plus haut. Jean Daniel coupe la poire en deux. Il publie à la fois larticle de Vidal-Naquet (en lamputant du passage le plus croustillant) et la réponse des BHL (plus longue et un tantinet paranoïaque). La poire nayant pas été coupée en deux parts égales, Jean Daniel se trouva dans lobligation de faire amende honorable en publiant une seconde lettre, de Castoriadis cette fois-ci, très peu aimable pour le protégé de la rue Montmartre. Ensuite le Nouvel Observateur continuera à rendre compte favorablement des ouvrages publiés par la firme BHL; On massure quil y aurait eu très récemment de leau dans le gaz sur fond déchange polémique entre une journaliste du Nouvel Obs et la marionnette. Le plus drôle étant que jen suis indirectement la cause. Ce que jen pense ? On me dit également que bien quayant quitté officiellement ses fonctions au Nouvel Observateur, Jean Daniel nen conserve pas moins la main sur le journal. Il doit vieillir, tout simplement.
Ensuite Philippe Sollers. Le soutien apporté par le directeur de Tel Quel en 1977 à La barbarie à visage humain avait de quoi surprendre. En le nuançant de part lévolution de Tel Quel à lépoque, une fois virée la cuti maoïste de ses rédacteurs. Sollers a du flair : très rapidement il a su dans quel sens le vent tournait en cette année 1977. Son compte rendu de La barbarie à visage humain est élogieux mais le contraire naurait étonné personne. Sollers restera sur cette ligne en entretenant avec le label BHL des rapports de compagnonnage. Un soutien tactique, il va de soi. Dailleurs, en privé, Sollers ne se prive pas de brocarder la marionnette. Un témoin digne de foi, qui prenait un verre au café La Palette, la entendu se moquer de BHL en des termes fort réjouissants, et très appréciés des personnes partageant la table du railleur. Sollers, nul ne lignore, nest pas à une contradiction près. Mais il sait parfaitement retomber sur ses pieds. Tout comme il sait jusquoù il peut aller sans que cela soit dommageable pour lui. Sollers peut par exemple conserver son amitié à Marc Édouard Nabe et publier ce dernier dans sa revue Linfini (quand bien même Nabe avait écrit dans son Journal, sur la profanation du cimetière juif de Carpentras et la manifestation qui sensuivit, les lignes suivantes : Je ne veux pas rater une miette de cet étron dhumains noirs de colère qui est enfin chié par le trou du cul du Non-Evénement ! Lénorme serpent de juifs et de non juifs, de politicards de gauche et de droite, bras dessus bras dessous pour les valeurs essentielles de la démocratie contre lantisémitisme cosmico-carpentrasien. Ah, si Céline voyait ça !).
Ces lignes ne passèrent pas inaperçues, mais la réprobation quelles soulevèrent resta limitée. En revanche, quand la brise se transforme en tempête le virevoltant défenseur du mal penser chez Céline, Nabe et consort se met à labri du grain. Je pense à laffaire Renaud Camus. Sollers avait quelques années plus tôt sollicité Camus afin de publier un extrait du Journal de cet écrivain dans Linfini. En définitive les lecteurs de la revue prendront connaissance du chapitre dun roman mal pensant (LOmbre gagne) jamais publié par Renaud Camus. On en déduira que ce dernier appartient à cette catégorie décrivains, disons incorrects, que prise Sollers. Et ce nest pas moi qui le lui reprocherais. Sauf quen ce printemps 2000 il devenait plus prudent, compte tenu de la violence de la tempête, de ne pas se mettre à dos Le Monde (ou Sollers était éditorialiste associé), lentreprise BHL, une partie de lintelligentsia parisienne et la quasi totalité des médias influents. Cétait beaucoup pour un seul homme qui sait, on lavait déjà remarqué, mettre ses convictions dans sa poche quand il le faut. Sans que cela il est vrai ne lui coûte guère.
Philippe Tesson maintenant. Alors responsable du Quotidien de Paris, Tesson, avant de devenir le patron des Nouvelles littéraires (qui consacra trois pages très favorables à La barbarie à visage humain ) figure dans la liste de ceux qui aidèrent dans les débuts lentreprise BHL. Philippe Tesson sut faire preuve dune solidarité à toute épreuve quand, recevant une lettre de Léon Poliakov dans laquelle lauteur du Bréviaire de la haine racontait la mésaventure plus haut relatée au sujet de Lidéologie française, il sabstint de la publier. Poliakov aura plus tard loccasion de se plaindre des méthodes de BHL dans Le Débat mais à un moment où la polémique ayant accompagné la parution de Lidéologie française nétait plus de saison.
Le couple Colombani-Plenel (qui peut le cas échéant se transformer en trio en y ajoutant Josyane Savigneau, citée ici pour des raisons qu'explique davantage sa proximité avec Sollers), du temps où tous deux présidaient aux destinées du Monde, a toute sa place dans cette catégorie des idiots utiles. Après le pitoyable échec du Jour et la nuit la direction du Monde remet lentreprise BHL en selle et la relégitime en lui confiant une mission d'envoyé spécial prestigieux en Algérie. On peut se demander si la commande passée alors par Le Monde au label BHL, celle décrire depuis le terrain plusieurs articles sur lAlgérie de la fin des années 90 (confrontée à une série dattentats attribués aux islamistes ayant fait un demi millier de victimes) ne sest pas révélée contre-productive pour le quotidien du soir. Même flanquée dun Glucksmann (ou à cause, diraient certains) la marionnette est largement passée à coté de son sujet. On releva dans ces articles quantité derreurs dues à une méconnaissance de la réalité algérienne. Plus grave, la marionnette se fit rouler dans la farine par le pouvoir algérien. On se serait cru revenu un demi-siècle plus tôt, quand dautres idiots utiles promenés durant des semaines en URSS revenaient enchantés de leur séjour. A se demander, toujours, qui était le plus à plaindre dans lhistoire : lentreprise BHL, qui reprenait la thèse officielle (contredite par de nombreux faits), accusant les islamistes pour mieux blanchir les généraux algériens (lesquels attribuaient à leurs ennemis leurs exactions et massacres) ou Le Monde, qui publiait pareilles contre-vérités. Avec le recul on constate que le second à plus pâti de cette collaboration que la première. Bons princes pourtant (ou encore aveuglés par leur anti-islamisme primaire comme la majorité des médias) messieurs Colombani et Plenel ne tiendront pas rigueur de ce que Bourdieu appela une opération de basse police (résultat de deux articles écrits au terme dun voyage sous escorte, programmé, balisé, surveillé par les autorités ou larmée algérienne), en ouvrant régulièrement les colonnes du Monde à lentreprise BHL ou en invitant la marionnette, qui Colombani dans son émission radiophonique La rumeur du Monde, qui Plenel dans Le Monde des idées que le directeur de la rédaction du Monde animait sur LCI.
On ne sattendait pas trouver Michel Contat dans cette liste. Ce philosophe, sartrien de longue date, collaborateur du Monde des livres, spécialiste de jazz, navait jamais que je sache manifesté dintérêt particulier à légard de la marque BHL avant la parution du Siècle de Sartre. Mais Dieu (Sartre pour Contat) venait de trouver son prophète en la personne de Bernard-Henri Levy. Jimagine cependant que le lecteur moyen du Monde dut être surpris de découvrir que dans lun de ses articles Michel Contat appelait violence fasciste lactivité salubre, ludique et très bien ciblée de lentartreur ! Cela parce que lindispensable ludion belge venait de commettre un énième attentat pâtissier contre la marionnette. Pauvre Contat ! Pauvre époque !
Autre invité surprise : Michel Houellebecq. Il sagit en loccurrence du dernier coup en date du quintette. Au sujet de ce curieux attelage daucuns ont évoqué le mariage de la carpe et du lapin. A regarder de plus près BHL et MH ont plus de points en commun quil napparaît. Je névoque pas, il va de soi, cette risible, ridicule et grotesque appellation de maudits que lun et lautre ont revendiqué. Jen rigole encore. Ici lopération, dont le caractère publicitaire naura échappé à personne - exceptés les habituels cireurs de pompes, laudateurs et courtisans -, entendait faire dialoguer le grand intellectuel (sic) au grand romancier (qui, par delà les réserves et plus que lon peut faire sur sa production romanesque, nest pas sans reprendre pour le lancement de ses romans les recettes publicitaires ayant fait le succès de lentreprise BHL).
Jallais oublier André Glucksmann : à ce titre pour toute son uvre depuis 1977.
ROMANQUÊTE : MON CUL !
Comme aurait pu le dire cette chère Zazie : celle de Queneau, hein !
Lair de rien, nous sommes entrés dans le XXIe siècle. A ce stade, il semblerait que lentreprise BHL, après les déconvenues signalées, ou par incapacité à être prise au sérieux dans les domaines philosophique, historique, littéraire, cinématographique ou politique, ait en revanche trouvé dans une forme de reportage, baptisé pompeusement romanquête, la reconnaissance cherchée en vain ailleurs. Un premier galop dessai, en Algérie, navait pas été comme on la vu couronné de succès. Mais les critiques que lon avait pu lire ou entendre ici ou là, dont certaines se signalaient par leur virulence, ne pesaient pas grand chose pour les BHL devant le concert de compliments émanant des généraux algériens. Quant un général de limportance de Nezzar déclare que Glucksmann et BHL ont par leur courage fait connaître la vérité, quils sont des hommes de courage et de conviction, et les assure de son plus grand respect et de sa plus haute considération, vous êtes flatté, ravi, comblé : cela vous console de bien des déboires (et les coupeurs de cheveux en quatre du genre Vidal-Naquet ou Bourdieu nont plus quà aller se rhabiller !). Que Nezzar soit lun des principaux responsables de la sanglante répression qui a endeuillé lAlgérie dans les années 90, nest quun détail. On le niera tout dabord, puis, les faits étant têtus, on le relativisera. Cinq ans plus tard, confrontée à la consternante légèreté et à laveuglement dont elle avait fait preuve comme envoyé spécial du Monde en Algérie, la marionnette reconnaîtra quelle avait peut être sous-estimé la possible instrumentation de ces islamistes par le pouvoir algérien. Sans remettre cependant en cause lanalyse de fond selon laquelle les islamistes étaient responsables des massacres. Il est vrai quentre temps le 11 septembre était passé par là : la firme BHL pouvait maintenant se permettre denfoncer ce clou rouillé sans risquer dêtre démentie.
Des commentateurs ont évoqué un tropisme afghan (ou pakistano-afghan) dans lhistoire des tribulations de lentreprise BHL. Déjà, en 1979, la marionnette, accompagnée de Gilles Herzog, sétait rendue en Afghanistan. En 1981 on ly envoyait de nouveau, en compagnie de Marek Halter cette fois-ci, pour créer une radio destinée à la résistance afghane. En réalité dans les deux cas il sagissait du Pakistan, dans des zones situées à proximité de la frontière afghane, contrairement aux affirmations réitérées de lintéressée. Vingt ans plus tard, la cohabitation alors en place (Chirac-Jospin) décide de confier une mission en Afghanistan à BHL. Arrivés à Kaboul, la marionnette et le fidèle Gilles Herzog font ériger une stèle à la mémoire du commandant Massoud, assassiné lannée précédente. On y lit : Au commandant Massoud (...) lhommage de ses amis de 20 ans : Bernard-Henri Levy, Gilles Herzog. Les morts hélas ne peuvent démentir. Mais de mémoire de vivant la marionnette na rencontré Massoud quune seule et rapide fois en... 1998 ! Le temps étant particulièrement extensible chez les BHL, la marionnette se répandra comme à son ordinaire dans les médias en excipant de cette amitié vieille de 20 ans.
On comprendra, connaissant la suite, que cet épisode méritait dêtre raconté. En plusieurs occasions, entre février 2002 et janvier 2003, la marionnette se rend au Pakistan. Les raisons ? Une enquête sur la mort de Daniel Pearl, un journaliste américain kidnappé et tué en janvier 2002 par des terroristes proches de la nébuleuse Al.Qaïda. Un livre sort en avril 2003, intitulé Qui a tué Daniel Pearl ? Cet ouvrage souvent approximatif, bourré derreurs, sensationnaliste, jonglant entre le compassionnel et le spectaculaire, rencontre néanmoins le succès (ou lexplique, dirais-je). Plus étonnant, un concert déloges sans précédent depuis La barbarie à visage humain (et encore !) le précède. Des journalistes jusquici peu sensibles à la prose et au contenu des livres signés BHL rendent un vibrant hommage à lauteur de Qui a tué Daniel Pearl ? Et ceux qui dhabitude lui cirent les pompes renchérissent dans lexercice. Jade Lindgaard et Xavier de la Porte, dans Le B.A BA du BHL ont consacré un important chapitre à cette énième imposture. Jy renvoie le lecteur.
Jai pour ma part surtout retenu létrange fortune du terme romanquête. A travers des formules du genre jaime mieux un roman que lhistoire ou je préfère la vérité morale à la vérité historique lentreprise BHL justifie le fait que lon puisse écrire nimporte quoi quand le papier demballage savère plus seyant et exerce davantage de séduction que son contenu, la vérité soit. La marionnette, lors dun entretien à LExpress sur les licences prises dans ce cas de figure par la marque BHL, évoque lamour dune vérité qui nest pas la vérité (...) mais une aventure, une bataille qui nen finit jamais. Ou encore une conception guerrière de la recherche de la vérité. Avec les stratagèmes, les lignes de front et de fuite, les ruses. Il y a un public pour avaler de pareilles sornettes. Mais lorsque ce public se confond avec la très grande majorité de la presse, bon...
Un lapsus de la marionnette, sur le plateau de Thierry Ardisson (interrogé sur les ouvrages à charge que lon préparait sur BHL, la marionnette évoquait des biographes qui ont une mentalité de flic, cest vraiment Poètes vos papiers, la phrase dAragon : la phrase en question, de Léo Ferré (dont les chansons ne doivent pas être la tasse de thé des BHL) est le titre dun poème et dun recueil publié en 1956, et mis en musique treize ans plus tard), mavait mis la puce à loreille. Vers la fin de sa vie, le stalinien Louis Aragon avait forgé une expression qui, sous couvert dexprimer sa vision de lécriture romanesque, entretenait une savante et perverse ambiguïté sur les relations de lécrivain Aragon avec sa vie : le mentir-vrai. Une façon en quelque sorte culottée et putassière de vouloir passer ainsi par pertes et profils quarante années dune vie marquée par le mensonge, la diffamation, la veulerie, lassujettissement intellectuel, et jen passe. Ou, pour le dire autrement, de noyer le mensonge de toute une vie dans le mensonge romanesque, à linstar des lignes suivantes (extraites de La mise à mort ) : Cest pourquoi savoir ne me suffira pas, et jamais ne me dispensera de mentir. Mentir est le propre de lhomme. Qui a dit ça ? Moi sans doute. Cest sur cette propriété de mensonge quil avance, quil découvre, quil invente, quil conquiert.... Là aussi une partie de la critique littéraire fut séduite par ce genre de discours. On se haussa même du col dans certaines gazettes en prenant pour argent comptant les tours de passe passe du vieil escamoteur.
Nous ne sommes pas tellement loin de ce numéro dillusionniste avec, pour la firme BHL, le romanquête. Sauf quici les ficelles sont encore plus grossières même si la profession, les journalistes auteurs de papiers élogieux sur Qui a tué Daniel Pearl ? , ny virent que du feu. Cest dire que cet ouvrage mélange les faits réels et ceux inventés pour mieux masquer les insuffisances et les inexactitudes de lenquête proprement dite. Critique et public retiendront surtout de cet embrouillamini la posture de lenquêteur : celle dun chevalier blanc volant au secours de la plus noble des causes. Marchant sur les brisées de lAragon du mentir-vrai, lentreprise BHL glosera sur les prétendus prestigieux ancêtres du romanquête, et convoquera pour ce faire le Victor Hugo de lessai sur Walter Scott. Il se trouvera même des journalistes pour envier BHL davoir pu mener à bien pareille enquête tout en ajoutant quelle venait corriger le travail des correspondants de presse sur le terrain. Imbéciles ! Et masochistes de surcroît !
ACHEVONS BHL
Tout ceci, jusquà présent, relevait plutôt du genre bouffon. Mais il arrive que, son pouvoir sétendant, ou les circonstances le voulant, lentreprise BHL change de registre, voire quelle montre les dents. Elle sait se montrer reconnaissante envers Jean-Luc Lagardère, quand celui-ci se trouve mis en cause lannée 2000 par la justice, en fustigeant la jouissance de ceux à qui le ressentiment tient lieu de politique, la clameur populiste, la destruction des élites. Ceci ne mange pas trop de pain, les cibles restent abstraites. En 1983, une journaliste de TF1, Luce Perrot, qui avait pris lhabitude dinterviewer la marionnette à loccasion du moindre pet de lentreprise BHL, est incitée par le directeur de linformation de la chaîne (pas encore bétonnée) à privilégier la forme compte-rendu critique à celle de lentretien. Il en informe la marionnette et la décommande pour le samedi suivant, en précisant que lon parlera de son dernier livre mais en dehors de sa présence. Lentreprise BHL monte au créneau et crie à la censure. Elle convoque le ban et larrière banc des copains et coquins, et reçoit même le soutien dintellectuels (Baudrillard ! Ionesco ! Morin ! Jankelevitch !), tous signataires dune pétition intitulée : A TF1 la littérature au placard - un appel pour Luce Perrot. Le Monde la publie sous forme de placard publicitaire. La vérité, quelque peu travestie par une présentation tendancieuse, voire inexacte des faits, se fera connaître un peu plus tard dans Le Monde (je vous parle dun temps où les sieurs Colombani et Plenel ne se trouvaient pas encore à la tête du quotidien du soir) en dénonçant au passage les méthodes employées par le label BHL pour obtenir des signatures dintellectuels. Je sais que certains de ceux-ci sen sont longtemps mordus les doigts. Enfin, pour conclure sur cet épisode, nous restions ici dans un registre manipulateur.
Il faudra attendre le XXIe siècle, et lannonce de la parution de biographies non autorisées sur BHL pour voir lentreprise montrer les dents. Un livre de Philippe Cohen, en préparation chez Fayard, la mobilise sur le front de LExpress, un hebdomadaire qui ne lui est pas entièrement acquis comme on pourrait le dire du Point. Il importe pour la firme BHL déviter toute exclusivité par LExpress de bonnes feuilles de cette biographie. Lentreprise BHL va par un intermédiaire assurer le directeur de lhebdomadaire, Denis Jeambar, de sa protection : dans la mesure ou celui-ci, que lon dit menacé, pourrait faire les frais dune restructuration imposée par le principal actionnaire, Serge Dassault. Devant labsence de réponse de Jeambar, le quintette délègue la marionnette pour négocier directement avec le directeur de LExpress. Les deux parties se mettent daccord pour attribuer, en regard dextraits de cette biographie, un droit de réponse à Bernard-Henri Levy. Lentreprise BHL est ainsi arrivée à un résultat que la direction du Monde, confrontée deux ans plus tôt à la même situation (et au même auteur, déjà !) navait pu obtenir. Ce qui en dit long sur le pouvoir de la firme BHL.
Elle emploie un an plus tard un ton plus menaçant à légard des auteurs dun livre que doivent publier Nicolas Beau et Olivier Toscar. Elle fait alors savoir par son avocat quelle considère le titre envisagé de louvrage (Une imposture française) diffamatoire. Des tentatives dintimidation sensuivront à travers lévocation dun éventuel procès. La marionnette évoquera même publiquement des menaces physiques si daventure les deux auteurs savisaient à franchir la ligne jaune.
Ces intimidations, menaces et rodomontades, paraissent en définitive anecdotiques et dérisoires si lon prend la peine de replacer lentreprise BHL dans lhistoire de ces quarante dernières années. Cest dans le contexte particulier du reflux des perspectives soixante-huitardes, dans la seconde moitié des années 70 donc, qua été lancée non sans succès lopération dite des nouveaux philosophes. La marque BHL qui la pilotait en a tiré dans limmédiat les bénéfices que lon connaît. Et davantage encore par la suite, quand bien même la nouvelle philosophie nétait plus de saison. Sans vouloir lui accorder limportance quelle na fondamentalement jamais eu, lentreprise BHL, dans la recomposition du paysage politique de cette fin des années 70 et après, en a néanmoins été lune des vitrines. A travers elle on a pu vérifier le discrédit des idées liées à 68 et lidée tout court de révolution, la naissance dune gauche morale (via un antitotalitarisme de façade, la création dune idéologie antiraciste et de ses dérivés, et la défense et illustration de léconomie de marché) sémancipant peu à peu de ce qui pouvait encore la rattacher à la gauche, et le traitement publicitaire de tout ce qui tient lieu de pensée y compris dans le domaine de léthique. On dira que la société du spectacle sest incarnée sous la forme la plus outrancièrement médiatique dans la figure dune marionnette affichée sur papier glacé et pérorant dun plateau de télévision à un autre. Pour perdurer il lui a fallu endosser la plupart des rôles proposés par le marché du spectacle et des idées, du nouveau philosophe au défenseur des justes causes, en passant, même revu sensiblement à la baisse, par celui du grand écrivain, parmi dautres. Le dernier rôle en date, celui de grand journaliste, sans être le plus prestigieux lui a cependant valu dêtre reconnu en tant que tel par la profession. Sachant que pareille reconnaissance repose sur un ouvrage qui tient de lescroquerie intellectuelle on mesure à quel degré de complaisance, daveuglement et de bassesse en est arrivé le journalisme aujourdhui (en en exceptant tous ceux qui ne mangent pas de ce pain là et lont fait savoir).
Ceci dit, quel rôle peut encore jouer la marionnette ? Il semblerait en cette année 2010 que tous ceux qui pouvaient servir aient été endossés. La roue tourne et les cartouches auraient été utilisées les une après les autres. Les dernières opérations visant à mettre la firme BHL sur le devant de la scène nont pas permis de véritablement relancer la machine. A linstar de ce dérisoire road movie à lenseigne dAmérican Vertigo, moqué par la presse américaine, ou de ce piteux pas de deux en compagnie de Houellebecq. Plus de rôle digne de lenjeu, plus de cartouches : ayant brûlé tous ses vaisseaux lentreprise BHL se trouverait condamnée, pour perdurer sur le mode qui a fait jusquà présent son succès, à la dernière extrémité : laveu de linexistence de Bernard-Henri Levy.
Ce serait signer en quelque sorte son acte de décès. Pourtant une telle possibilité na même plus lieu dêtre évoquée. Cest déjà trop tard puisque nos lecteurs savent maintenant à quoi sen tenir : nous, Jean-Baptiste Botul, venons dapporter les preuves de cette inexistence. Certains nous répondrons dun ton blasé : je le savais. Mais que ne lont-ils pas dit plus tôt ! Cela nous aurait épargné lécriture de ce texte, parfois fastidieuse. Quant aux journalistes et autres médiatiques - en mettant de coté ceux qui dépendent directement ou indirectement de lentreprise BHL - il nous semble quaprès pareille révélation, un sentiment de dignité, ou plus simplement le souci déviter de paraître trop ridicules, devrait les inciter, les persuader, les convaincre de ne plus désormais interviewer la marionnette dans leur journal, ni linviter sur un plateau de télévision. Ceci aurait au moins le mérite de la clarté pour tout le monde. Les journalistes et médiatiques qui persisteraient à interviewer ou inviter la marionnette étant lors définitivement considérés comme les valets de lentreprise BHL.
Je ne voudrais pas conclure sans madresser au lecteur qui posséderait dans sa bibliothèque un ou plusieurs livres signés Bernard-Henri Levy. Je me suis référé plus haut à une revue aujourdhui disparue, L'Anti-Mythes, et plus particulièrement à un numéro intitulé Bernard-Henri Levy dordures. Je nai pas besoin de mattarder sur cette dernière association. Ami lecteur, tu sais ce qui te reste à faire : vas chercher ce volume dans ta bibliothèque et jette le à la poubelle !
Jean-Baptiste BOTUL
Lairière, mars avril 2010
Ce texte peut être consulté depuis : http://www.lherbentrelespaves.fr/BHL.html
Jean-Baptiste Botul a déja publié :
La vie sexuelle dEmmanuel Kant
Landru précurseur du féminisme
Nietzsche et le démon de midi
La métaphysique du mou
tous aux éditions MILLE . ET . UNE . NUITS